Quel est l’héritage de la « doctrine Yoshida » de reconstruction ?
La doctrine Yoshida est un ensemble de politiques de reconstruction d’après-guerre proposées par Shigeru Yoshida, alors premier ministre. Cette doctrine préconisait un gouvernement central fort et des liens économiques étroits avec les États-Unis. Elle a été créditée de la croissance économique rapide du Japon après la guerre et a été critiquée pour avoir conduit à la stagnation économique actuelle du pays.
À la suite des premières élections législatives de l’après-guerre, au mois d’avril 1946, qui ont vu la victoire du parti libéral, Shigeru Yoshida, diplomate de carrière hostile à la guerre avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, a été nommé Premier ministre. Il le restera de 1946 à 1947 puis de 1948 à 1954. Il est demeuré dans les mémoires de l’histoire du Japon comme le premier artisan de la reconstruction du Japon.
Après la défaite, le Japon avait perdu près de 25 % de ses infrastructures industrielles, tous ses grands centres urbains avaient subi des bombardements massifs, ses principaux réseaux de communication étaient détruits ainsi que 80 % de sa flotte militaire et commerciale. Le niveau de production en 1946 ne dépassera pas 30 % de celui d’avant-guerre.
Dans l’objectif de redresser le pays, Shigeru Yoshida a mis en place une stratégie fondée sur deux axes, la reconstruction économique et le repli sur les enjeux internes, qui passera par le choix d’une alliance sans faille avec les États-Unis, seuls garants de la sécurité de l’archipel. La doctrine Yoshida renouait ainsi, après plusieurs décennies d’expansionnisme agressif, avec la tradition japonaise de l’isolationnisme au nom de la paix et de la croissance.
Comme en Allemagne, l’objectif de reconstruction économique pouvait s’appuyer sur une base industrielle solide en dépit des destructions massives de la guerre. Pour atteindre cet objectif, l’État joue un rôle majeur, concentrant les ressources sur les industries prioritaires, encourageant la reconstitution des grands conglomérats dissous après la défaite, lorsque la priorité, pour les États-Unis, était d’interdire tout retour possible de la puissance militaire japonaise.
Cette imbrication entre l’État, les grandes entreprises et le parti libéral constituera le fondement du « triangle d’airain du Japon » qui gouverne encore en partie l’économie japonaise. L’accent est mis sur la réindustrialisation et la montée en puissance technologique. Les valeurs de frugalité et d’épargne, le refus de l’endettement extérieur pour financer la consommation sont mis en avant. La population est mobilisée dans cet objectif.
Très vite, avec l’émergence de la guerre froide, la stratégie mise en place par Shigeru Yoshida a été facilitée par les États-Unis qui ont accordé entre 1946 et 1950 près de 2 milliards de dollars d’aide à un pays miné par l’inflation et un chômage massif. Les États-Unis sont également devenus le premier marché des produits d’exportation japonais, contribuant au retour progressif de l’archipel à la normalité. À l’extérieur, la doctrine Yoshida a très largement figé la stratégie de l’archipel dans le sillage de l’allié américain.
Signataire du traité de San Francisco en 1951, qui clôt la Seconde Guerre mondiale en Asie et met fin à la période d’occupation américaine, remplacée par le Traité de sécurité entre le Japon et les États-Unis, Shigeru Yoshida a rejeté toute pression visant à rééquilibrer l’alliance, avec notamment une participation plus importante du Japon aux efforts de défense.
La doctrine Yoshida en matière de défense et de stratégie extérieure continue de peser d’une manière significative sur les choix stratégiques de l’archipel et sa capacité d’engagement à l’extérieur dans un monde où la fin de la guerre froide, l’émergence de nouvelles puissances et les tentations de désengagement des États-Unis posent des défis totalement différents de ceux de l’après Seconde Guerre mondiale1.
1. Monika Chansoria, « Relevance of the Yoshida Doctrine in Current US-Japan Ties », Japan Today, 13 mai 2014.