Le Japon est-il une société sans crimes ?

Le Japon est-il une société sans crimes ?

La réponse à cette question est un « non » retentissant Le Japon a peut-être l’un des taux de criminalité les plus bas du monde, mais il ne s’agit en aucun cas d’une société sans criminalité. En fait, il existe un certain nombre de types de crimes différents qui sont propres au Japon et à sa culture.

La société au Japon est extrêmement sûre, et son taux de criminalité est le plus bas des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce taux continue de chuter. Après un pic de 2,85 millions en 2002, il ne dépassait pas 915 111 en 2017. Cette diminution concerne notamment les délits et menus larcins, en baisse de 33 %. Ces derniers représentent par ailleurs la très grande majorité (72 %) des « crimes » au Japon. Les meurtres ne comptent que pour 1 % du total et les crimes « sérieux » ne dépassent pas 2 %. De même, selon les statistiques officielles, seuls 1,2 % de la population japonaise ont fait usage de drogue.

Ces taux de criminalité très bas s’expliquent par une application stricte de la loi. Ainsi, le vol, y compris le vol d’une bicyclette, peut être puni de peines de prison. Cette sévérité et cette assurance de voir les peines appliquées expliquent en partie le phénomène des personnes âgées, souvent isolées, qui se font emprisonner « volontairement ». Le pourcentage des personnes de plus de soixante-cinq ans commettant des délits (10 %) est aujourd’hui supérieur à celui des jeunes de moins de vingt ans. La qualité des prisons japonaises et le vieillissement de la population expliquent aussi ce phénomène. De même, les peines pour consommation de drogue sont élevées (cinq ans) et appliquées.

Pourtant, en dépit de ces chiffres très rassurants, le sentiment d’insécurité des Japonais est relativement élevé, dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où les taux de criminalité sont pourtant bien plus élevés1. La criminalité se concentre dans les villes, Tokyo venant en tête avec 14 % de la totalité des crimes. Les cas d’enlèvement d’enfants sont en proportion relativement nombreux (239 en 2017) et très largement médiatisés, nourrissant un sentiment de crainte dans une population très protégée.

De plus, de nouvelles formes de criminalité, comme la fraude par Internet et téléphone dans une société peu méfiante, se sont également multipliées, représentant 4,33 % du total. Pour y répondre, des unités de police cybernétique ont été créées et les campagnes de prévention sont omniprésentes. Par ailleurs, si les taux sont très bas, certains types de crime sont sans doute sous-représentés dans les plaintes déposées, comme le viol (1 111 cas en 2017), le harcèlement sexuel ou la consommation de drogue. En effet, le cannabis est très sévèrement réprimé, les stimulants (méthamphétamines) représentent 8 % des cas de consommation de drogue alors que l’héroïne et la cocaïne sont quasiment inexistantes. En revanche, il existe des drogues semi-légales (, herb), dont les composants sont mal contrôlés par une législation trop laxiste2.

Il existe enfin une criminalité spécifique qui est celle des groupes de yakuzas3. Issus des associations de commerçants forains (tekiya) et longtemps reconnaissables à leurs tatouages, les yakuzas contrôlaient les milieux du racket et du chantage, faisant régner l’ordre au nom de « valeurs » souvent proche de celles des groupuscules d’extrême droite4. Leurs activités se sont diversifiées dans la criminalité financière, les milieux du jeu et de la prostitution, la production de films, la fourniture de travailleurs temporaires dans le secteur du nucléaire ou le trafic de drogue5. Ces évolutions sont accentuées par l’internationalisation, en lien avec les mafias chinoise et coréenne6.

Jouissant toujours d’un statut « officiel », les grandes associations de yakuzas comme le Yamaguchi-gumi possèdent leur siège social et leur logo. L’adoption de lois de contrôle de la criminalité organisée en 1992 puis en 2011 et en 2014 a considérablement réduit leur marge de manœuvre en criminalisant notamment tout accord commercial, même légal, avec une association de yakuzas. Leur nombre officiel s’est considérablement réduit, passant officiellement de 184 000 en 1963 à 70 000 en 2014. Reconnaissables à leurs véhicules noirs qui vont, dans une hiérarchie stricte, de la Mercedes S aux Nissan en passant par la Toyota Crown, ils sont toutefois encore très visibles dans certains quartiers de Kobe, Osaka ou Tokyo. Par ailleurs, on constate l’émergence de groupes moins structurés qui échappent plus facilement au contrôle de la police.


1. La moyenne du taux d’homicide est de 3,6 pour 100 000 habitants dans les pays de l’OCDE et de 0,3 pour 100 000 au Japon.

2. Le cannabis (chanvre) est par ailleurs une plante naturelle au Japon. En 2016, la découverte de deux plans de cannabis sur un talus bordant la résidence du Premier ministre avait fait scandale.

3. Le nom officiel est « organisation violente ».

4. Comme dans le cas des geishas, dont l’activité de courtisanes est relativisée, le caractère ambigu de certaines associations de forains est souvent minimisé, au nom des traditions.

5. À l’origine, selon le « code d’honneur » des yakuzas, le vol et le trafic de drogue n’étaient pas pratiqués.

6. La série de films de Takeshi Kitano, Outrage, offre une description à la fois réaliste et ironique du nouveau milieu des yakuzas, mêlant violence maffieuse, internationalisation et travers du modèle d’entreprise japonais.