Retraite d’Hayao Miyazaki : qui pour succéder au maître de l’animation japonaise ?
Alors que son dernier long-métrage, Kaze Tachinu (Le Vent se Lève) doit sortir sur nos écrans en début d’année prochaine, Hayao Miyazaki annonçait son départ en retraite le 1er septembre dernier. Une nouvelle fracassante, relayée par le président du Studio Ghibli, Koji Hoshino, lors d’une conférence de presse à la Mostra de Venise. L’occasion de s’intéresser à l’un des serpents de mer de la critique internationale : la succession artistique et économique d’une des figures majeures du cinéma japonais.
Qui pour prendre la suite d’Hayao Miyazaki ? Cette question passionne les foules, au Japon et ailleurs, depuis plus de 15 ans et l’annonce de sa première retraite en 1997. Rebelote en 2001, avec, à chaque fois, un retour aux affaires quelques temps plus tard dans des circonstances bien particulières (nous aurons l’occasion d’y revenir). Alors évacuons rapidement le sujet : cette fois-ci, c’est la bonne ? Même ses plus proches collaborateurs ne peuvent s’empêcher d’en douter.
Un réalisateur tout puissant sur ses terres
Lors de la présentation de son nouveau film, Kaguya-hime no Monogatari, Isao Takahata, co-fondateur du Studio Ghibli, déclarait : « Il m’a dit que cette fois-ci, il était très sérieux mais il y a des chances que cela puisse changer. Je le connais depuis si longtemps. Ne soyez pas trop surpris si cela se produit. »
Miyazaki a d’ailleurs déjà remis le bleu de chauffe, travaillant sur un nouveau manga de samouraïs se déroulant à l’époque Sengoku. Il est pratiquement certain qu’il continuera également à réaliser des courts-métrages pour le musée Ghibli, comme c’est le cas depuis des années. Mais admettons que le maître se range définitivement. Pourquoi diable lui chercher dès maintenant un successeur alors que le bonhomme est encore loin d’avoir un pied dans la tombe ? C’est qu’au Japon, Hayao Miyazaki n’est pas n’importe qui. Il est, à ce jour, le seul réalisateur d’animation à avoir atteint un tel niveau de réussite, sur tous les plans.
Artistiquement, il possède un contrôle total sur ses films, aucune contrainte extérieure ne saurait lui être imposée. Tous ses longs-métrages sont d’immenses succès publics : il a dominé par deux fois le box-office japonais de tous les temps avec Mononoke Hime (Princesse Mononoke) en 1997 et Sen to Chihiro no Kamikakushi (Le Voyage de Chihiro) en 2001. Chihiro est d’ailleurs toujours numéro un de ce classement avec plus de 23,5 millions d’entrées et des bénéfices supérieurs à 300 millions de dollars.
Que la concurrence s’appelle Harry Potter, Titanic ou Avatar, elle doit systématiquement plier l’échine lorsque Miyazaki sort un film. Sa dernière réalisation, Kaze Tachinu, sorti en juillet, a déjà engrangé près de 120 millions de dollars de recettes et caracole en tête du box office national en 2013. Le succès de Miyazaki est également critique avec de nombreuses récompenses, notamment un Oscar et un Ours d’or à Berlin pour Chihiro.
Il est le seul réalisateur d’animation japonaise connu internationalement, et personne ne semble avoir la carrure pour le remplacer dans son propre pays. Car au-delà de ses succès, Miyazaki est un véritable bourreau de travail, qui a occupé tous les postes possibles durant sa carrière. Commençant en bas de l’échelle comme intervalliste à la Toei dans les années 1960, il a rapidement pris du galon en faisant preuve d’initiative et en étant force de proposition. S’il en avait le temps, il pourrait s’occuper à lui seul de toute la partie visuelle d’un dessin animé, de la création des personnages à l’animation en passant par le storyboard. Par conséquent, sur ses réalisations, il est omniprésent et contrôle absolument tout. En somme, un génie doublé d’un tyran, souvent haï par son staff lors de la production.
Son aura est telle que, si l’on se cantonne au box office des films d’animation japonaise, le Studio Ghibli est le seul à réussir à caser ses réalisations en haut de l’affiche, au côté des énormes franchises comme Pokemon ou One Piece, même lorsque Miyazaki n’est pas aux manettes.
Le retrait de Miyazaki créerait donc un vide conséquent et chacun s’échine à lui rechercher des héritiers, capables de s’asseoir sur un trône peut-être beaucoup trop imposant pour eux. Pour trouver des candidats potentiels, on peut naturellement commencer par regarder directement du côté du Studio Ghibli.
Yoshifumi Kondô, la jeunesse sacrifiée
Et comment évoquer cette succession sans se pencher sur le destin tragique de Yoshifumi Kondô? Né en 1950, cet animateur-clef de talent côtoie rapidement Miyazaki et Takahata sur différentes séries à succès des années 1970 comme Lupin III, Mirai Shônen Conan ou encore Sherlock Holmes.
Les deux hommes finissent par le convaincre de rejoindre le Studio Ghibli en 1987. Bosseur invétéré, Kondô sait se montrer indispensable et officie sur l’ensemble des productions du duo de fondateurs, tour à tour comme animateur-clef, chef animateur et chara-designer. En 1995, on lui confie la réalisation de son premier long-métrage, Mimi wo Sumaseba (Si tu tends l’oreille). Sous la supervision de Miyazaki, Kondô délivre un film sensible, personnel et inspiré. Il parvient à allier l’imaginaire et la fantaisie propres au Studio à un cadre plus contemporain, ancré dans la réalité.
Les deux patriarches en sont persuadés : ils tiennent là leur successeur, appelé à prendre leur suite lorsqu’ils se retireront du monde de l’animation. Avec lui, l’institution Ghibli serait entre de bonnes mains. Kondô redevient chef animateur sur Mononoke Hime en 1997 et Miyazaki, confiant, annonce sa (première) retraite après le succès historique de son dernier film. Mais tout s’effondre quelques mois plus tard. Le 21 janvier 1998, Yoshifumi Kondô succombe à un anévrisme, vraisemblablement dû au surmenage. Hayao « Napoléon » Miyazaki vient de perdre son aiglon. Effondré par cette disparition, le maître annule son départ en retraite et retourne aux affaires, en se jurant de relâcher la pression et de travailler moins durement.
À partir de cet instant, Miyazaki et Takahata, accompagnés du producteur emblématique du Studio, Toshio Suzuki, commencent à rechercher activement des réalisateurs susceptibles de les suppléer périodiquement.
Gôro, le fils que Miyazaki refusait de voir à ses côtés
Débarque alors, par une porte dérobée, Gorô Miyazaki, fils du maître et héritier légal, à défaut peut-être d’être légitime. Et leur relation n’a rien d’un conte de fées. Hayao Miyazaki est un père absent, obnubilé par son travail, et son succès grandissant est une véritable chape de plomb sur les épaules de son rejeton. Attiré dans sa jeunesse par une carrière dans l’animation, il décide finalement de suivre des études de paysagiste afin d’éviter la comparaison avec son illustre géniteur.
Mais en 1998, tout bascule. Alors que Miyazaki père travaille sur Le Voyage de Chihiro, le Studio souhaite créer un musée à Mitaka, dans la banlieue de Tokyo, afin de proposer des expositions, des courts-métrages… et de faire rentrer de l’argent dans les caisses. Suzuki présente le projet à Gorô qui supervisera la construction de l’édifice et l’aménagement du jardin. Il devient même directeur d’exploitation du musée.
Dans les années qui suivent, le producteur l’enjoint à participer à des réunions sur l’adaptation, alors au point mort, d’un roman d’Ursula K. Le Guin, Le Sorcier de Terremer. Fan du livre, Gorô accepte et commence à proposer idées et croquis. Toshio Suzuki flaire la bonne affaire et lui offre la réalisation du film qui s’appellera plus tard Gedo Senki (Les Contes de Terremer). Le fiston peut enfin embrasser son rêve d’enfant. Au grand dam de son père qui s’oppose farouchement à cette idée, jugeant Gorô trop immature et inexpérimenté pour mener à bien une telle entreprise. Des tensions énormes se créent et les deux parents ne s’adresseront plus la parole durant toute la durée de la production, soit environ 9 mois.
Lors de l’avant-première interne du film en 2006, Hayao Miyazaki est présent, contre toute attente. Mais c’est pour mieux quitter la salle après une heure de projection. Et le jugement du père sur le long-métrage de son fils est sans concession : « J’ai eu l’impression que ça faisait déjà 3 heures que j’étais assis… […] Je trouve qu’il a travaillé vraiment sérieusement et c’est tout. Pas d’autres choses à ajouter. Personnellement, je pense que c’est un travail qui ne valait pas la peine d’être réalisé. » Il se fendra même d’une lettre à Gorô lui écrivant « Tu as été digne de toi-même »…
Le film cartonne auprès du public mais les critiques sont acerbes. Gorô est rangé au placard pendant pratiquement 4 ans. En 2010, après plusieurs concepts rejetés, il finit par récupérer un vieux projet de son père, Kokuriko-zaka Kara (La Coline aux Coquelicots), basé sur le manga éponyme, publié dans les années 1980. Suzuki joue les médiateurs et demande à Hayao Miyazaki d’en écrire le scénario. La collaboration est houleuse : si le maître a l’air d’accepter petit à petit que son fils devienne réalisateur, leur vision du film diverge.
Achevé en 2011 dans un contexte économique et social incertain, dû notamment aux catastrophes naturelles et nucléaires de mars, La Coline aux Coquelicots rencontre un beau succès. Le travail de Gorô est certes scolaire mais ne manque pas de charme. Le fiston s’installe définitivement dans l’écurie Ghibli. Son troisième film serait déjà sur les tablettes pour 2014-15. Mais difficile pour lui de se départir de son image de fils à papa pistonné et surtout, difficile de penser qu’Hayao Miyazaki le considère comme sa relève.
« Maro » Yonebayashi, la classe biberon du Studio Ghibli aux commandes
Car le maître a déjà jeté son dévolu sur quelqu’un d’autre, en la personne d’Hiromasa Yonebayashi. Pur produit du Studio Ghibli, le jeune homme, surnommé « Maro » par ses pairs a démarré comme intervalliste sur Mononoke-hime avant de monter en grade petit à petit. Animateur de talent, il se révèle complètement lors de la production de Gake no Ue no Ponyo (Ponyo sur la Falaise) où on lui doit la fameuse et superbe scène des vagues.
Enthousiaste, Miyazaki lui confie la direction de Kari-gurashi no Arietti (Arrietty, Le Petit Monde des Chapardeurs). Yonebayashi devient le plus jeune réalisateur de l’histoire du Studio et impressionne ses collaborateurs lors de la production. Son sens du travail et son abnégation rappellent même l’attitude de Miyazaki, qui le soutient complètement dans son évolution, contrairement à son fils.
Un contraste qui éclatera lors de l’avant-première d’Arrietty où le maître se serait levé, hurlant « Bon boulot, Maro ! », déclarant plus tard qu’il était « le premier réalisateur né et élevé au Studio Ghibli ». À l’instar de Gorô, Yonebayashi travaille déjà sur son prochain long-métrage, prévu pour l’été 2014. Selon diverses rumeurs, il s’agirait de la suite de Porco Rosso.
On peut néanmoins légitimement se demander si ces deux poulains ont vraiment la carrure pour occuper la place laissée vacante par Miyazaki. Ils bénéficieront certes de l’aura du Studio Ghibli et de ses fondateurs mais ils n’acquerront jamais la même notoriété ni le même succès. Leurs films sont solides mais manquent d’un vrai supplément créatif.
En revanche, poussés par Suzuki, ils se fondront parfaitement dans le moule Ghibli, assureront sa pérennité et renfloueront les caisses vidées par les projets originaux mais souvent peu rentables d’Isao Takahata (son dernier film, en production depuis 8 ans aurait coûté, près de 50 millions de dollars !). Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’un nouveau réalisateur émerge, à la surprise générale, des équipes du Studio, à l’instar de Yonebayashi. Une chose est sûre : le départ de Miyazaki ne devrait pas créer de point de rupture au sein de l’institution Ghibli avant deux ou trois ans, le planning des sorties étant déjà acté. Il sera alors temps de s’interroger à nouveau voire de spéculer sur un éventuel retour du maître aux affaires pour un ultime chef-d’œuvre.
Makoto Shinkai, faux Miyazaki mais vrai fleuron de l’animation indépendante
Mais un aspirant au trône peut également débouler depuis les frontières du royaume. Quid des autres réalisateurs, extérieurs au studio Ghibli ? Là encore, bien des noms ont été envisagés puis balayés. L’un de ceux qui revient régulièrement ces dernières années est celui de Makoto Shinkai, notamment depuis son film Hoshi o Ou Kodomo, (Voyage vers Agartha), sorti en 2011.
Pillage en règle de l’univers Ghibli, le long-métrage va chercher ses aspirations scénaristiques et graphiques tour à tour chez Nausicaä, Laputa, Chihiro ou encore Mononoke. En résulte une sorte de sous-Miyazaki, pas forcément indigeste mais qui manque singulièrement de personnalité. Et pourtant, Shinkai n’en manque pas et est une figure un peu à part dans l’animation japonaise actuelle.
Travaillant pour une firme de jeux vidéo dans les années 1990, le jeune homme réalise intégralement un court-métrage de 5 minutes en noir et blanc, Kanojo to Kanojo no Neko (She and Her Cat). En le vendant lors des conventions sur des CDs gravés, il attire l’attention d’une société d’édition, qui lui propose de financer son prochain projet. Cette fois-ci, Shinkai quitte son job et s’attèle durant 7 mois à la conception d’Hoshi no Koe (Voices of a Distant Star) sur son ordinateur. Cette OAV de 25 minutes rencontre un succès inattendu. Le public et les critiques sont impressionnés par le travail titanesque abattu par une seule personne, qui plus est totalement autodidacte.
Shinkai démontre qu’il est possible de réaliser un animé de qualité avec un staff extrêmement réduit et à faibles coûts grâce aux nouveaux outils de création numérique. Adepte du full digital, Makoto Shinkai devient, un peu malgré lui, le porte étendard d’une nouvelle animation indépendante, en marge des studios traditionnels, ouvrant la voie à quelques perles comme Eve no Jikan (Time of Eve). Suivront pour lui de nouveaux succès d’estime avec Kumo no Mukô, Yakusoku no Basho (La Tour au-delà des Nuages) et Byôsoku Go Senchimêtoru (5 cm par Seconde). Son style devient extrêmement reconnaissable : des visuels très doux, des décors retravaillés d’après photos et des effets de lumière ultra prononcés. Shinkai souhaite sublimer la réalité, la rendre encore plus belle qu’elle ne l’est. Ses thèmes de prédilection : les relations, souvent amoureuses, entre les êtres et l’idée du manque affectif.
Condamné à un succès de niche ?
En résulte des productions qui en mettent plein les mirettes, tapent souvent juste au niveau des émotions provoquées, mais restent très convenues. Shinkai n’a pas vocation à devenir le nouveau Miyazaki, contrairement à ce que certains critiques ont pu laisser entendre, car il ne vise pas du tout le même public. Sa démarche est bien différente de l’universalité recherchée par les longs-métrages du Studio Ghibli. Il veut avant tout réaliser des films pour les personnes d’ordinaire peu intéressées par l’animation et qui ne se sentent pas impliquées par elle.
De ce fait, il est condamné à rester dans une certaine niche et la situation semble parfaitement lui convenir, tant il répète à loisir être surestimé et qu’à quelques années près, un autre réalisateur aurait pu se tenir à la même place que lui.
Comment expliquer alors l’incident Agartha qui tranche avec le reste de sa filmographie ? Armé d’un budget beaucoup plus conséquent que sur ses réalisations précédentes, on peut penser que Shinkai a craint de ne plus jamais avoir une telle somme à sa disposition. D’où une accumulation parfois grossière d’idées dans une aventure plus familiale, regroupant de multiples influences, qui parfois ne lui ressemblent pas. Depuis, le jeune homme est revenu à des formats et des histoires qui lui correspondent bien davantage avec Kotonoha no Niwa (The Garden of Words), sorti en 2013.
Mais même si Shinkai n’est pas le successeur tant attendu et si son aura ne dépassera jamais certains cercles d’amateurs bien particuliers, il dispose encore d’une marge de progression conséquente. Son style et sa capacité à travailler rapidement lui permettent de multiples expérimentations, notamment dans le domaine de la communication avec la réalisation de plusieurs publicités animées de haute volée.
Mamoru Hosoda : l’expérience avortée chez Ghibli
Et alors que tout le monde désespère de trouver quelqu’un capable d’extraire Excalibur du rocher, arrive Mamoru Hosoda. Né en 1967, il démarre sa carrière comme animateur à la Toei après s’être fait recaler… de l’institut de formation du Studio Ghibli. Intervalliste, animateur-clé, directeur d’épisodes, le bonhomme touche à tous les postes.
Hosoda travaille même sous pseudonyme pour d’autres studios, s’essayant au scénario et au storyboard, notamment sur Utena en 1997. La Toei décide de lui confier la réalisation du premier film Digimon, Digimon Adventure, opus de 20 minutes sortant au cinéma en 1999 afin de promouvoir le lancement de la série TV sur les ondes le lendemain. Loin du produit commercial ultra calibré auquel on aurait pu s’attendre, le film étonne. Hosoda installe une narration lente, qui prend le temps de distiller une ambiance paradoxale (les très jeunes enfants se retrouvent aux commandes de monstres toujours plus puissants et effrayants sur fond de Boléro de Ravel). Les décors urbains sont de toute beauté, l’animation au diapason et la mise en scène, parfaitement adaptée au cinéma, démontre tout le potentiel latent d’Hosoda.
Rebelote l’année suivante avec la réalisation du deuxième film de la franchise : Digimon, Bokura no War Game ! (Digimon, Notre Jeu de Guerre !). En 40 minutes, le moyen-métrage préfigure tout ce qui fera plus tard la force du réalisateur. Tout d’abord, un style graphique éminemment reconnaissable. Hosoda est un adepte du superflat, mouvement artistique popularisé entre autres par Takashi Murakami (ce dernier demandera d’ailleurs à Hosoda de collaborer à une publicité renversante pour Louis Vuitton, Superflat Monogram). Cela se caractérise par des aplats de couleurs d’un seul ton, peu de reflets et d’ombres sur les personnages, permettant de rendre des mouvements complexes très simples.
Le réalisateur offre également, en parallèle, une ébauche d’un univers virtuel flottant, foisonnant de détails et ultra coloré, que l’on retrouvera sublimé des années plus tard dans Summer Wars, dont le film Digimon est une sorte de canevas préparatoire tant les similitudes entre les deux œuvres sont flagrantes. Au niveau des thématiques, Hosoda joue en permanence sur la dualité des mondes (réel et virtuel) et le symbole du jeu lorsqu’on est enfant. Dans une interview donnée en 2010, le réalisateur explique : « J’ai envie de dessiner le monde réel, à la base. Et pour lui donner plus d’importance, je lui oppose un autre monde. De plus, pour les personnages, revenir d’un monde parallèle les aide à davantage profiter de leur propre monde. »
Grâce à ce deuxième opus, Hosoda finit par taper dans l’œil de Toshio Suzukiu et Hayao Miyazaki. Ce dernier vient de partir à la retraite pour la seconde fois après la consécration Chihiro, et le Studio Ghibli cherche un réalisateur pour son prochain projet : Hauru no Ugoku Shiro (Le Château Ambulant).
Miyazaki semble se reconnaître en Hosoda du fait de leur parcours un peu similaire de touche-à-tout de l’animation. Mais ce qui devait être une superbe opportunité pour le jeune réalisateur se transforme en cadeau empoisonné.
Quelques mois après avoir été engagé, Hosoda est contraint de quitter le navire, officiellement pour différends artistiques. Hosoda aurait essuyé de nombreux clashs avec l’équipe de production, peu encline à suivre ses idées et son storyboard, trop éloignés des canons du Studio. Il aura des années plus tard cette terrible maxime : « Le Studio Ghibli est une structure qui a été créée essentiellement pour permettre à monsieur Miyazaki de produire ses œuvres et malheureusement pas pour créer d’autres choses. »
Miyazaki sera d’ailleurs obligé de revenir à la barre en catastrophe pour boucler la production du long-métrage mais refusera de participer à la promotion du film, conscient du résultat bancal délivré. De son côté, Mamoru Hosoda pense qu’il vient de rater la chance de sa vie…
Le début d’une nouvelle dynastie ?
Paradoxalement, cet échec chez Ghibli va devenir un véritable point de départ pour Hosoda. Réengagé par la Toei (fait rarissime), il s’occupe du 6e film de One Piece : Le Baron Omatsuri et l’Île aux Secrets. Là encore, le jeune réalisateur amène sa patte artistique et thématique dans un univers de franchise. Il jouit d’une totale liberté et demande à des animateurs extérieurs de transformer complètement le chara-design habituel de la franchise pour l’adapter à son style graphique du superflat. Les combats, éléments centraux en temps normal, sont remplacés par des jeux plus loufoques les uns que les autres mais tout aussi dangereux. Surtout, à travers son scénario, Hosoda règle ses comptes. Métaphore de son passage raté chez Ghibli, l’histoire voit le groupe de héros se désagréger petit à petit, reprochant à son capitaine ses mauvaises décisions et le laissant seul pour affronter l’ultime épreuve. Communication, amitié et entraide seront les maîtres mots qui permettront finalement à la bande de s’en sortir in extremis, dans un bel œdipe artistique.
À la sortie du film, la colère des fans est sans précédent, outrés par ce qu’Hosoda a fait de leur franchise. Mais cela lui permet de se faire remarquer par le studio Madhouse qui produira Toki wo Kakeru Shôjo (La Traversée du temps) en 2006 et Summer Wars en 2009, deux longs-métrages qui installent Mamoru Hosoda comme réalisateur d’importance avec toujours au centre de ses préoccupations les univers parallèles et la notion de temps qui passe.
En 2012, il quitte Madhouse, fonde son propre studio (Studio Chizu), comme Miyazaki en son temps, et sort Ôkami Kodomo no Ame to Yuki (Les Enfants Loups), une fable humaniste bouleversante sur une mère courage, devant élever seule des enfants lycanthropes, avec tous les inconvénients que cela implique. Avec plus de 50 millions de dollars de recettes au box-office et 4 millions d’entrées au Japon, le long-métrage se positionne dans le top 20 des plus gros succès d’animation, cercle très fermé jusqu’alors réservé aux Ghibli et aux films de franchise. Surtout, il tend à l’universalité recherchée par les œuvres de Miyazaki. Hosoda devient connu pour son nom en tant que réalisateur, après seulement 3 films personnels et se révèle capable d’attirer des spectateurs grâce à des projets originaux, estimés par le public et les critiques. Il ne serait pas surprenant qu’Hosoda rafle, dans les années à venir, quelques récompenses internationales prestigieuses à l’instar de Miyazaki.
Il commence également à suivre le fonctionnement du Studio Ghibli en termes de merchandising afin de lui garantir une certaine indépendance financière. Hosoda révélait même lors de l’avant-première mondiale des Enfants Loups à Paris l’année dernière, qu’il envisageait d’inviter de nouveaux réalisateurs dans son studio. Si ça ne vous rappelle pas quelqu’un…
Paradoxalement, à l’heure actuelle, l’héritier spirituel et économique le plus crédible de Miyazaki est une personne ayant échoué au sein de sa propre structure. Peut-être un mal pour un bien car la liberté dont dispose désormais Hosoda est sans commune mesure. Ses films si personnels n’auraient probablement jamais vu le jour au sein du Studio Ghibli. Mamoru Hosoda a tout pour récupérer le créneau familial que revendique Ghibli, à condition bien sûr qu’il trouve des financements et des sponsors conformes à ses ambitions. Ce qui ne devrait pas poser de gros problèmes vu la progression du bonhomme et les revenus qu’il est capable de générer. D’ailleurs, Toshio Suzuki garderait toujours un œil sur lui…
De là à imaginer un retour en fanfare du prétendant déchu au sein de Ghibli pour lui redonner une nouvelle vie, il y a un pas que nous ne franchirons pas. S’il apparaît évident qu’Hayao Miyazaki ne saurait être remplacé (ni même peut-être égalé) dans le panorama de l’animation japonaise, Mamoru Hosoda a toutes les cartes en main pour se fabriquer un joli trône, qui ne ressemblera qu’à lui.