Pourquoi les « excuses » du Japon ne sont pas acceptées en Chine et en Corée ?

Pourquoi les « excuses » du Japon ne sont pas acceptées en Chine et en Corée ?

La question des « excuses » continue d’empoisonner les relations de Tokyo avec ses deux voisins chinois et nord-coréen. Dans une culture confucéenne partagée, la reconnaissance de la faute – et les excuses qui l’accompagnent – vaut absolution1. Toutefois, pour des raisons différentes, ni la République populaire de Chine (RPC) ni la république de Corée ne sont prêtes à abandonner l’arme du passé face au Japon.

Le Japon est en effet accusé, depuis le début des années 2000, par Pékin et Séoul, de ne pas s’être « sincèrement » excusé pour ses actions pendant la guerre et la période coloniale. En réalité, depuis 1972 et la reprise des relations diplomatiques entre Pékin et Tokyo, le Japon a exprimé à de très nombreuses reprises ses « remords sincères » pour ses actions au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut le cas en 1993, lors de la visite de l’empereur en Chine.

En 1995, le Premier ministre Tomiichi Murayama, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, a exprimé ses excuses « du fond du cœur » pour les « souffrances et dommages énormes infligés par le Japon au travers de son système colonial et de son agression », et rappelé le caractère irréfutable de ces faits historiques2.

Tomiichi Murayama était socialiste, dans un gouvernement de coalition avec le Parti libéral démocrate (PLD), mais ses excuses ont été reprises dans presque les mêmes termes par les Premiers ministres successifs, y compris le Premier ministre Koizumi, représentant plus nationaliste du PLD en 2005. De même, le Japon a exprimé des excuses écrites à la Corée du Sud, dotée d’un régime démocratique depuis 1998 avec le gouvernement de Kim Dae-Jung, pour son action pendant la période coloniale.

La négation de la validité et de la sincérité de ces excuses par Séoul et par Pékin aujourd’hui s’explique en réalité par des raisons qui n’ont que très peu de relations avec l’histoire. Pour le régime chinois, il s’agit d’un rapport de force et d’un moyen de pression sur Tokyo. Accepter les repentirs du Japon serait reconnaître son poids en tant que puissance légitime sur la scène internationale. Cette affirmation de puissance de la Chine face au Japon a également une fonction de légitimité interne pour le régime chinois auprès d’une population nourrie de campagnes d’éducation patriotique3.

De même, en Corée du Sud, pour des raisons différentes, la question des excuses nippones, et plus généralement les contentieux historiques, s’insère dans un contexte particulièrement complexe où les sentiments antijaponais permettent de gommer d’importantes divisions internes, et de légitimer le caractère patriotique des élites politiques, notamment face à la Corée du Nord.

Dans les deux cas, ce rejet des excuses du Japon est source de tensions et nourrit en retour les tentations révisionnistes dans l’archipel. Pour Tokyo, l’expression de remords est devenue inutile puisque toute avancée peut être remise en cause par la RPC ou les autorités coréennes en fonction de logiques internes que le Japon ne maîtrise pas.


1. Timothy Webster, « The Prince of Settlement. World War II Reparations in China, Japan and Korea », http://nyujilp.org/wp-content/uploads/2019/04/NYI201.pdf.

2. Au cours de la même visite, la Chine a procédé à un tir d’essai nucléaire.

3. Voir Valérie Niquet, Chine-Japon, l’affrontement, Paris, Perrin, 2006.